S’ensuit « Brick S(h)ithouse » où l’une des chansons punk les plus réussies de Placebo. Le rythme est rapide, saccadé, Molko déforme sa voix pour donner un côté encore plus agressif et pourtant la classe mélodique est là, l’emportant sur tout le reste. Ma partenaire me lance un sourire complice lorsqu’elle entend « When you cum you never make a single sound ». C’est clair, ça ne la concerne pas…
« You don’t care about us » prolonge le plaisir post punk avec une belle ligne de basse et une construction idéale déboulant sur un superbe refrain qui devient plus intense au fur et à mesure, tout comme le réveil que je suis en train de vivre.
Puis les choses se calment un peu sur « Ask for answers », du moins musicalement. Car émotionnellement, c’est à partir de là que l’album prend son envol pour ne plus jamais redescendre. Molko avait annoncé lors de sa sortie en 1998 qu’il avait été composé dans un état de délabrement sentimental total pour les trois membres du groupe et c’est vrai que l’on va peu à peu se laisser entraîner par la sombre magnificence de ce qui va passer dans nos oreilles. « These Bonds are shackle free ». L’image est dure, me rappelant pourquoi je suis ici, avec une fille de vingt ans plus perverse que jamais mais qui m’aura oublié dès demain pour s’éclater avec un autre business man friqué.
Vient le morceau titre. A le réentendre dix ans après, je me dis qu’il n’avait même pas besoin de l’aura et de la voix mystérieuse de Bowie avec qui le groupe l’a joué sur scène. Ces presque cinq minutes d’orgasme musical et émotionnel sont un point d’orgue dans la musique en général. Les paroles continuent de me filer ce sentiment de nausée que mes breuvages corsés d’hier soir n’expliquent pas complètement. Et malgré cette créature au physique aussi gothique et parfait que la chanson et ses efforts buccaux extrêmement flatteurs, je ne peux me permettre de penser à celle à qui je dirais bien « Without you I’m nothing » à ce moment précis.
Heureusement, Allergic (to thoughts of mother earth) et son énergie salvatrice grâce à un travail sur la disto de la guitare très poussé et un refrain aussi simple qu’accrocheur me remettent d’aplomb pour profiter de ce moment rock’n roll comme on en croise peu dans sa vie d’homme modèle. Rassasiée, elle me laisse seul.
The Crawl me fait replonger dans la rêverie sentimentale. Petite sœur de Ask For Answers, la chanson semble irréelle, passer telle un fantôme dans la chaîne. Brillant tout simplement.
Every You, Every Me reprend la structure répétitive et tubesque de “Pure Morning” avec autant de réussite, une belle montée en puissance de guitare/synthé sur la fin et un Brian Molko toujours aussi inspiré dans ses paroles désabusées. Le petit déjeuner est prêt.
Petit Déjeuner sur « My Sweet Prince » ? Non merci. Voilà un morceau très difficile, où le chanteur déverse sa douleur sans se soucier un seul instant de son effet sur l’auditeur. Par la suite, Placebo le fera encore mais de manière consciente, calculée et forcément plus aseptisée. Ici, c’est du brut. L’instrumentation est minimaliste, la voix est au premier plan et les paroles font tout. Il faut être dans le bon état pour écouter sinon mieux vaut la passer. Avant que mon esprit qui rajoute inconsciemment deux s au titre ne retrouve complètement l’image de mes années de bonheur avec une personne aimée, c’est ce que je fais.
Je préfère regarder la neige tomber et laisser « Summer’s gone » m’accompagner dans ma rêverie dominicale. Peut être ma préférée sur cet album par son rythme lancinant, sa guitare planante et la ligne de chant de son refrain « You try to break the mole, before you get too old ». Un passage narré où la voix de Brian me fait penser à Corgan dans ses moments calmes achève de lui donner un charme indéniable. Le même que possède celui de ma groupie d’un soir, qui me fait doucement comprendre qu’il sera bientôt l’heure de se quitter. Peut être une dernière tartine ?
La tartine se mangera sur « Scared of girls », dernier brûlot de l’album avec une sauvagerie et une efficacité rythmique à couper le souffle. Nirvana n’est pas loin. Je me délecte de ces paroles qui définissent exactement l’homme que je suis devenu et que deviennent finalement tous ceux déçus par l’amour : « I’m a man a liar, guaranteed in your bed, I gotta place it on the rack, got a place inside it ».
Epuisé et vidé de toutes mes substances non illicites, je me dirige vers la porte quand retentit Burger Queen, ballade désenchantée où Stefan Olsdal troque sa basse pour une guitare rythmique tandis que Brian Molko fait sonner des arpèges touchés par la grâce. « Things aren’t what they seem ». Pourtant il semble bien que c’est là le terme de l’album et de ma relation éclair du week end. Je n’aurais pas le temps d’écouter l’instrumental caché « Evil Dildo » où Brian a samplé les menaces proférées sur son répondeur pour accompagner une furie musicale à deux basses qui, il faut l’avouer, n’a pas grand intérêt à la fin d’un tel album. Mais rien que pour entendre le batteur se lâcher, on ne boudera pas notre plaisir.
Moi mon plaisir est terminé, je retourne à ma vie normale d’homme stressé. Mais réécouter « Without You I’m Nothing » m’a néanmoins rappelé certaines choses qui avec le temps s’étaient embrumées dans mon esprit.
Sans cet album, Placebo n’est rien. Sans cet album, ma discographie n’est rien. Sans cet album, je ne suis rien.
Sans toi je ne suis rien